En quoi pourrait-il contribuer à reformuler une raison d'être 2.0 autour d'une utilité sociétale ?
par Fabienne GOUX-BAUDIMENT, 18 mars 2022
Le métavers est au cœur des questionnements auxquels on nous demande, prospectivistes, de réfléchir aujourd'hui. Ce qui témoigne de l'intérêt des entreprises sur ce sujet, qui fait couler beaucoup d'encre depuis octobre 2021. Le texte ci-dessous est la retranscription d'une conférence que j'ai donnée le 22 février 2022 au club RH&M "The Why Project", qui m'avait demandé de décrypter la notion de métavers et de montrer quelle relation pouvait être établie entre métavers et raison d'être. Je l'ai élaboré en approfondissant l'esquisse publiée ici en décembre 2021, dans le cadre d'un programme de recherche plus global sur la Convergence, que je développe avec mon collègue suisse Christopher CORDEY (voir Du métavers à la pieuvre et Exponentialité X.0 – Métavers ou métapieuvre ?).
Vous avez dit "métavers" ?
Le métavers, si l’on s’en tient à la définition suivante, est "un ensemble d'univers virtuels, permanents et interconnectés, interactifs et partagés, en 3D, s'appuyant sur la RV (réalité virtuelle) et/ou la RA (réalité augmentée)". Il n'y donc pas "des" mais "un" métavers, puisque précisément le terme désigne déjà un ensemble d’univers, donc un collectif. Trois caractéristiques permettent d'en préciser les contours.
La permanence est la première caractéristique de ces univers virtuels. Les joueurs le savent, c'est un élément essentiel, car cela signifie que vous ne pouvez pas reprendre la partie là où vous l'avez laissée car depuis, elle a évolué sous l'action des algorithmes et des autres joueurs. Autrement dit, ces espaces virtuels fonctionnent selon les mêmes lois que la réalité : il ne s'agit pas du cloud où vous retrouvez vos sauvegardes figées mais d'espaces dynamiques, indépendants de votre présence ou absence.
La seconde caractéristique explique en partie la première : il s'agit de l'interaction entre les visiteurs, du partage des espaces, qui font que chacun peut contribuer à modifier l'univers partagé dans lequel il se trouve, à le faire changer, évoluer, etc. Tout le monde est interconnecté et les processus / activités sont interactifs.
La troisième caractéristique, enfin, explique la structure même du métavers : la multi-dimensionnalité. Vous allez me dire que, dans le réel, nous vivons déjà en trois dimensions (voire 4 si on inclut le temps). Certes, mais en réalité nous n'évoluons qu’en deux dimensions puisque nous ne volons pas. Dans le métavers, vous pouvez donc voler, c'est-à-dire vous déplacer dans les 3 dimensions sans contrainte physique. Et vous pouvez aussi disposer d'une dimension informationnelle, par exemple en permettant à des données de se superposer à ce que vous voyez. Cela est possible grâce à deux instruments essentiels :
la réalité virtuelle, c’est-à-dire la conception de mondes entièrement fictifs qui semblent cependant très réels ;
la réalité augmentée, c’est-à-dire la superposition d’informations numériques sur la trame très matérielle de notre monde.
Doté de ces trois caractéristiques, le métavers repose sur le soubassement de trois grands piliers : ses infrastructures économique, sécuritaire et de communication.
L’infrastructure économique est la clé de son fonctionnement. En effet, pour attirer les entreprises d'un monde relativement mercantiliste, il faut dépasser le simple cadre du gaming. Pour cela, le métavers s'est doté de moyens de paiement, les cryptomonnaies (Solana, Bitcoin, Ethereum, etc.) et d'assets spécifiques, les NFT.
Ceux-ci méritent que l'on s'y attarde une peu. Les Non-Fongibles Tokens sont des valeurs, des biens immatériels, qui ne sont pas échangeables par eux-mêmes, autrement dit qui ne peuvent pas se substituer les uns aux autres. Ils peuvent s'acheter, avec de la cryptomonnaie en général, mais ils ont une valeur intrinsèque spécifique, au contraire des objets industriels par exemple (deux smartphones identiques sont substituables, ou deux pièces de monnaie). Ces biens non-fongibles concernent des œuvres d’art, des terrains, des portefeuilles de valeurs, etc. qui sont numériques.
Deuxième pilier, l'infrastructure de sécurité permet de sécuriser les échanges qui se déroulent dans le métavers grâce à la blockchain. Celle-ci est une sorte de registre qui liste l’ensemble des biens achetés et leurs propriétaires, de manière totalement transparente. Son intérêt est de reposer sur des morceaux d’enregistrement répartis sur des milliers, voire des millions d’ordinateurs, ce qui la rend, pour l’instant, inviolable. Ainsi la blockchain apparait comme l’instrument sûr, décentralisé, qui pourrait à l'avenir remplacer toute chambre d’enregistrement permettant aujourd’hui d'affirmer que vous êtes le propriétaire d’un bien.
Enfin, troisième pilier : les infrastructures de communication, relatives à deux types de communication :
la communication en tant qu'accès : car il faut accéder à ce lieu virtuel comme on accède à un lieu physique, via des accès publics, des comptes privés, des invitations parfois payantes…
la communication entre entités au sein du métavers et à l'extérieur : nécessaire pour échanger, négocier, acheter, inviter, partager, etc. Il est même possible de communiquer avec des tiers, extérieurs au métavers alors qu'on est à l'intérieur de celui-ci.
Cette communication multidirectionnelle passe par trois systèmes distincts :
les réseaux sociaux. Contrairement à ce que l’on imagine, Facebook n'est pas le principal vecteur de communication avec le métavers. L’essentiel des transactions s'effectuent en effet à partir de Twitter et de Discord, ce qui explique peut-être pourquoi Facebook cherche à s'y imposer si agressivement. Les réseaux sociaux sont normalement accessibles à tout le monde, comme Twitter. Pour Discord, le système est un peu plus compliqué : il faut généralement être déjà à l’intérieur de réseaux pré-existants pour pouvoir vraiment tirer parti de Discord.
le Dark Web. Cette zone des grandes profondeurs de l’Internet, aux activités souvent peu licites, permet d'accéder aussi bien au métavers qu'à tout l'univers digital.
les objets matériels. Ce sont des dispositifs d'accès au métavers, comme les systèmes haptiques (combinaisons, gants) qui permettent d'interagir avec des objets à distance et d'acquérir une perception sensorielle au sein du métavers, et tous les instruments de réalité virtuelle (casques, lunettes) qui permettent de voir le métavers comme s'il existait physiquement, de ressentir ce que ressent votre avatar et de naviguer au sein de ses multiples dimensions que ce soit pour voler ou pour visualiser des données.
Pour que la description du métavers soit complète, à ces trois infrastructures qui en constituent le socle "existentiel", il faut ajouter les humains qui le peuplent. Ceux-ci peuvent être rangés en deux catégories : les "acteurs" et les habitants. En d'autres termes, ceux qui forgent le métavers et ceux qui l'utilisent.
La catégorie des acteurs regroupe ceux qui ont permis au métavers d'exister.
Tout d'abord, les bâtisseurs : ce sont les grandes compagnies de jeu (Decentraland, Roblox, etc.) qui créent et entretiennent une partie des univers qui peuplent le métavers. Ensuite, des États qui s'investissent dans le métavers, les Etats-Unis en tête mais aussi des Etats petits ou peu connus tels que le Kazakhstan (fermes de cryptomonnaies) ou le Salvador (premier à adopter le bitcoin comme monnaie nationale).
Puis la première vague d’utilisateurs (les early adopters) qui arrivent en masse, essentiellement le monde de la mode et de la beauté (Guerlain, Gucci, Nike, L'Oréal, etc.) et le monde de la grande distribution (Carrefour).
Enfin, les développeurs : aussi bien ceux qui vont fabriquer les instruments permettant d’accéder au métavers (comme Actronika avec ses nouvelles combinaisons), que ceux qui connectent les univers déjà existants avec le métavers, comme Microsoft.
La catégorie des habitants regroupe trois grands ensembles :
Les citoyens. Dans certaines municipalités, par exemple, on propose aux habitants de venir participer dans le métavers à des projets collectifs, ou à des processus d’intelligence collective. D'autres citoyens du métavers sont plutôt des utilisateurs individuels des réseaux sociaux (les social users), qui viennent chercher de l’information ou chatter entre amis. D'autres, enfin, sont des touristes du métavers.
Les travailleurs et les apprenants. Ils viennent y faire du télétravail, du télé-enseignement, du télé-apprentissage. Ils assistent à des meetings et utilisent à peu près les mêmes instruments.
Les spécialistes. Ce sont les gamers, qui justifient aujourd'hui l'existence du métavers, et les "vrais" consommateurs qui viennent y acheter des produits spécifiques, virtuels, les fameux NFT. Cette catégorie de population est sans doute celle qui connaît le mieux les arcanes du métavers, d'où ce surnom de "spécialistes".
Voici donc, à peu près à quoi ressemble le métavers.
En résumé, le métavers – un concept issu de la science-fiction et considéré comme le successeur de l'internet actuel – est un ensemble de mondes virtuels 3D, de type jeux vidéos, où se rencontrent réseaux sociaux, places de marché, e-commerce, espaces collaboratifs...
L'avenir du métavers : coup de pub, mode ou véritable tendance ?
Maintenant, la vraie question est celle que tout le monde se pose en ce moment : est-ce que le métavers est quelque chose de sérieux ou pas ? En d'autres termes, est-ce un coup de pub, un effet de mode ou une véritable tendance appelée à se pérenniser ?
Nul n'a la réponse aujourd'hui, mais voici quelques éléments de réflexion.
Tout d’abord, on peut argumenter qu’il s’agit d’un phénomène de mode sans lendemain en se fondant sur les éléments suivants :
Le précédent : les versions antérieures du métavers qu'étaient le Deuxième Monde ou encore Second Life ont fini par disparaître, ou du moins perdre considérablement de leur attraction. Ces tentatives ont duré en moyenne de quatre à six ans, puis la vague est retombée, quelles qu'en soient les diverses raisons.
L'analogie : lorsque le réel est pesant – ce qu'il est manifestement aujourd'hui avec un contexte économique difficile, la pandémie, les risques qui sont en train de s’accumuler, les tensions géopolitiques, etc. – l’être humain a toujours la tentation de s'évader dans des mondes imaginaires qui permettent de vivre quelques instants dans des univers plus paisibles. La science-fiction pendant l’entre-deux guerre a offert de tels mondes ; de manière analogue, le métavers pourrait bien lui succéder pour un brève période, le temps que la situation s'améliore.
La technologie : celle-ci ne semble pas encore au rendez-vous pour conquérir ces monde. Les casques virtuels sont incommodes, souvent inconfortables. La bande passante est insuffisante et provoque les lags dans la communication que chacun a pu expérimenter lors de conférences vidéo, par exemple, lorsque l’image gèle ou que la connexion se coupe toutes les cinq minutes. Parallèlement se pose aussi la question énergétique, le fonctionnement de ces mondes virtuels étant particulièrement gourmand. En période de transition énergétique, ce n’est peut-être pas le meilleur modèle de durabilité…
Le risque de désocialisation, voire d'addiction, qui guette les accros au métavers pourrait aussi inciter à une marche arrière, que ce soit du fait des Etats (Chine, Japon par ex.) ou des familles en ce qui concerne les adolescents et jeunes adultes, grands adeptes des mondes virtuels.
Inversement, on peut aussi arguer que le métavers est une tendance structurelle qui, demain matin ou dans 20 ans, finira par s'imposer. Au-delà de la dynamique d'évolution de la dématérialisation de notre civilisation (trop longue à expliquer ici), trois éléments peuvent justifier cette assertion.
Le hardware est là. En effet, nous disposons aujourd’hui des machines qui permettent de commencer à façonner le métavers, grâce à une puissance de calcul qui se développe exponentiellement. L’Internet à très haut débit se déploie de plus en plus rapidement, boosté par la pandémie. Les interfaces humain-machine (HMI) sont de plus en plus perfectionnées, comme le montrent les nouvelles générations de casques, lunettes, combinaisons et interfaces haptiques. L'exploration de l’interface cerveau-machine est déjà en cours (avec le Neuralink, par exemple).
En matière de software, des méta-plateformes se développent, rôdées par l’industrie du jeu vidéo, comme Roblox. Des mobilisations importantes de capitaux ont lieu pour financer les développements, comme en témoigne Epic Games qui, en 2021, a réussi une levée de fonds d’un milliard de dollars pour construire son propre univers à l’intérieur du métavers. Enfin, la pratique des réseaux sociaux privés s'implante peu à peu dans le monde professionnel (cf. Horizon Workrooms).
Les end users : pour que l'on ait ici une véritable tendance structurelle, il faut que les utilisateurs ne soient pas seulement quelques geeks passionnés ou des marques en quête de visibilité mais que des individus anonymes puissent y trouver un intérêt. Trois phénomènes sont à surveiller pour évaluer ce dernier élément :
Le premier est la génération des gamers devenus adultes. Ceux qui jouaient massivement entre 15 ans et 25 ans, ont à peu près entre 30 ans et 40 ans aujourd'hui. Ce sont à la fois des consommateurs natifs des mondes virtuels et, en même temps, des employés potentiels pour les entreprises qui voudraient s'y installer, parce qu’ils connaissent très bien la mécanique de ces univers qui, pour les plus âgés, est plus complexe à appréhender.
Le second phénomène est l'impulsion extraordinaire de la COVID-19 qui a accéléré toutes les tendances digitales, dont le télétravail et le e-commerce mais aussi les "télérencontres" (e-apero, etc.) et les jeux en ligne. Le nombre d'utilisateurs de Roblox, par exemple, a doublé au cours de ces deux dernières années.
Impulsion massive et génération Gamers se conjuguent pour donner naissance au troisième phénomène : les nouveaux usages susceptibles d'attirer un nombre croissant d'utilisateurs stables. L'évènementiel, par exemple, a fait un pas de géant avec les concerts virtuels qui devraient perdurer : même pour des spectacles en salle, la participation hybride devrait rester la norme, les usagers décidant de participer en présentiel ou en distanciel à leur gré (ce qui permettrait aussi de réduire le coût des salles de spectacle). Autre usage nouveau, dans le cadre des actifs virtuels cette fois (NFT) : le Direct to Avatar, c’est-à-dire le fait de vendre directement des biens virtuels (qui n’auront jamais aucune matérialité) à des avatars. Dans le domaine du marketing, on voit apparaître le commerce social (influenceurs) et le gamevertising (faire de la publicité à l’intérieur d'un jeu comme on le fait à l'intérieur de films, notamment pour les marques automobiles). Enfin il faut noter, sans être exhaustif, l'usage des twins (jumeaux numériques) pour la simulation, et le développement croissant de la réalité augmenté dont les usages "sérieux" émergent (Alzheimer, handicaps, etc.).
Les défis du métavers
Que ce soit une tendance lourde ou un phénomène de mode, les défis auxquels le métavers est ou sera confronté sont exactement les mêmes : économiques et sociaux, voire sociétaux.
Sur le plan économique, ces enjeux concernent aussi bien les entreprises et les travailleurs que les spécialistes des infrastructures.
Par exemple, les marques historiques – qui peinent un peu à entrer dans ces univers – sont confrontées aux Digital Native Virtual Brands, qui sont nées dans les mondes virtuels et savent les faire fonctionner.
Côté travailleurs, le développement d'une économie virtuelle devrait booster la GIG economy (les talents à la demande) qui a déjà le vent en poupe dans les métiers du quaternaire. Mais sur quels critères embaucher ces électrons libres ? Comment tirer parti de ce vivier ? Comment protéger ces indépendants, tant sur le plan social qu'en matière de propriété intellectuelle ?
Enfin, sur le plan de la sécurité, comment assurer la pérennité en matière d'énergie, de connexion (not. câbles sous-marins), d'inviolabilité et de transparence de la blockchain ?
Dernier élément-clé de ces défis économiques, l’interopérabilité est une nécessité absolue pour que le métavers puisse exister. En effet, il faut que tous les univers logés au sein du métavers puissent communiquer entre eux et, notamment, permettre aux actifs, ces fameux NFT, de valoir quelque chose dans chacun des univers, tout comme on déplace aujourd'hui les biens et les services dans le monde physique.
En ce qui concerne les défis sociétaux, ils proviennent principalement du floutage entre le virtuel et le réel.
Nous avons déjà évoqué plus haut le risque de déconnection du réel (addiction, rejet du réel, valeur-refuge du virtuel). Ses implications sur l'éducation, la sédentarité, la santé, le rapport à la violence et à la transgression… sont autant d'enjeux à anticiper.
Ce floutage facilite aussi toute une gamme de manipulations, plus ou moins volontaires, des fake news à la manipulation photo (photoshopping, deep fake), en passant par la reproduction erronée des données (par ex. quand un logiciel linguistique traduit l'américain "1 trillion" par le français "1 trillion" au lieu de "1 billion" (soit mille milliards et non un milliard de milliards).
Quelles régulation, prévention ou répression allons-nous mettre en place pour éviter que le métavers devienne une jungle virtuelle où toutes les exactions pourraient être impunément commises, une sorte d'annexe du Dark Web ? Enfin, le digital gap représente lui aussi un défi de taille à court-moyen terme : un fossé entre ceux capables d'accéder au métavers et ceux qui ne le seront pas, que ce soient des individus ou des collectifs (entreprises, pays, etc.).
Métavers et raison d'être : quelle opportunité ?
Ce contexte global étant posé, le métavers peut-il finalement s'avérer être une opportunité pour la raison d’être des entreprises ?
Commençons tout d'abord par nous réinterroger sur la raison d’être. Dans un premier temps – disons la version 1.0 de la raison d'être – les entreprises ont essayé d’appliquer, bon an mal an, la loi Pacte… pour constater que ce n'était pas aussi simple. La difficulté la plus importante tient au corps social de l'entreprise. Celui-ci, souvent désenchanté, voit cette raison d’être comme une énième tentative de remettre de l'ordre dans l'entreprise ou comme un nouveau coup marketing (après le green washing, les valeurs, la vision, etc.) : on l’énonce, on fait des grands discours, mais dans les faits, rien ne se passe. Business as usual : on continue comme par le passé. De fait, les managers souvent débordés ont bien du mal à se réinventer sous la pression de leur charge, de la compétitivité... si bien que la raison d’être passe après les impératifs quotidiens.
Aussi la première question à se poser est "avons-nous vraiment besoin d’une raison d’être ou ne cherchons-nous qu'à appliquer une loi pour se faire bien voir des autorités / du marché / de notre corps social ?"
Admettons que la réponse soit "un vrai besoin" ; la question suivante est : "Comment faut-il la formuler pour qu'elle fonctionne, pour qu'elle engage vraiment les collaborateurs, bref pour qu'ils y croient ?" Pour cela, il convient sans doute d'en déplacer le focus : la raison d’être ne répond peut-être pas (ou pas seulement) à la question "quel est le sens de mon entreprise ?" dans la logique auto-centrée de vision & mission, mais plutôt à la question "quel sens mon entreprise peut-elle donner au monde par son action ?". Dans ce cas, elle peut devenir un nouveau vecteur d’engagement de son corps social car elle offre une utilité sociétale non seulement à l'entreprise en tant qu'organisation mais à chacun de ses collaborateurs.
Attardons-nous un instant sur ce concept d'utilité sociétale. Le monde actuel se caractérise par l'absence d'idéologie dominante (religion, philosophie, etc.) capable d'expliquer pourquoi l'être humain existe, quel est le sens de la vie, quelle est la frontière entre le bien et le mal… Or on constate que les gens s’interrogent toujours sur le sens de leur action, sur leur propre utilité dans le "système", et que l'absence de réponse peut altérer leur santé mentale. L'entreprise n’étant jamais qu’un collectif d’individus – même s’il est guidé par des objectifs économiques et stratégiques – il est logique que la question de l'utilité sociétale s'y invite naturellement. Ainsi la raison d’être n’a-t-elle de sens que si elle peut être partagée par tous ceux qui travaillent dans l’entreprise, en répondant à leur besoin individuel le plus profond.
Prenons un exemple. La raison d'être "Inspirer et développer les constructeurs de demain" est relativement vide d'utilité sociétale : il s'agit plutôt d'un objectif stratégique, d'une mission. En revanche, si elle devient "Permettre de construire mieux demain", elle donnera lieu à une réflexion sur "qu'est-ce que le mieux ?" en commençant par le constat de ce qui ne va pas aujourd'hui et chaque collaborateur pourra apporter sa pierre. Mais, là encore, elle restera limitée aux "constructeurs" (BTP, architectes, etc.). On pourra donc embarquer plus de monde encore si on la définit comme "contribuer à de meilleurs espaces de vie". Cette fois, tout le monde est concerné -- utilisateurs comme constructeurs --, l'intelligence collective est clairement sous-entendue, et chaque collaborateur et interlocuteur de l'entreprise a quelque chose à dire pour permettre à celle-ci de réaliser sa raison d'être.
Ainsi l'utilité sociétale surgit lorsque la raison d’être de l’entreprise est définie comme une contribution à la résolution d’un des grands problèmes actuels (ici, par exemple, logements et espaces publics mal conçus). Ce qui pourrait constituer la version 2.0 de la raison d'être. Mais pour soutenir l'engagement qu'elle peut alors susciter, il faut vaincre l'isolement individuel des collaborateurs et interlocuteurs, offrir des réseaux pour débattre, des espaces pour innover, des lieux pour prototyper.
C'est là que le métavers intervient.
Car il offre l'ensemble de ces moyens à travers un espace collaboratif fondé sur la notion de réseau social. Certes, l’entreprise constitue déjà un réseau social physique en elle-même, par le fait de se rencontrer dans les couloirs ou à la machine à café… et beaucoup disposent déjà d'un chat interne. Mais le métavers peut offrir un espace plus vaste, plus personnel qu'un chat ou un mail, grâce aux avatars facilitant les interactions. Cet espace collaboratif virtuel peut être permanent, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, car indépendant de toute injonction (contrairement à l'email).
Pour qu'il attire, il doit offrir des services à tous ceux qui peuvent contribuer à œuvrer pour la raison d'être et à cristalliser l’engagement du corps social, tels que :
les RH, avec la possibilité de développer dans le métavers des formations spécifiques, des jeux d’évaluation pour la gestion de carrière, des instruments d’onboarding, etc.;
les managers, avec les multiples outils de la gestion de projet collaborative et du team building intelligent ;
les collaborateurs et interlocuteurs volontaires cherchant à concrétiser la raison d'être, avec des espaces affinitaires de construction collective, des espaces et outils d'innovation ouverte (design thinking) et de prototypage des solutions imaginées (simulation, itérations) et, finalement, un espace de test de plusieurs millions d'internautes…
L'utilité sociétale n'est ni l'ESS, ni le développement territorial, ni la RSE. Elle est la raison d'être, individuelle et collective, de tous ceux qui veulent concrètement améliorer le monde dans lequel nous vivons. Et le métavers peut y contribuer.
Ainsi les collaborateurs auraient-ils le sentiment, à travers cette inscription dans le métavers, que l'entreprise leur donne réellement les moyens de s'investir, individuellement et collectivement, dans la mise en œuvre de sa raison d'être version 2.0, qui deviendrait ainsi la leur.
Sehr interessant ..